Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents. Joseph Joubert

mardi 5 avril 2011

BEUREY-SUR-SAULX

Beurey sur Saulx, village meusien de 320 habitants, est situé entre Robert-Espagne et Couvonges, à 1 km du premier et 2 km du second. Sa population mi-agricole, mi-ouvrière a toujours vécu dans un calme absolu. Depuis quelques jours cantonne à Beurey des éléments peu importants de la Luftwaffe. Ils sont installés dans le château Salleron et dans les maisons avoisinantes. Ils se tiennent tranquilles et donnent l’impression de vouloir bien finir la guerre ici en se faisant « cueillir » gentiment par les Américains dont l’arrivée ne saurait plus tarder.
Le dimanche 27 août, un petit détachement vient préparer des cantonnements : des chambres sont réservées pour des officiers et des sous-officiers, des locaux pour la troupe. Aucune arrivée le lundi 28 qui se passe sans incident. Des convois passent de temps à autre. Mais le mardi 29 août, dés l’aube, vers 4 heures, la population du village est brutalement tirée de son sommeil. Des camions et side-cars semblent venir de Mognéville arrivent, ils vont et viennent dans les rues à la recherche des cantonnements; les occupants en descendent : heurtent les portes, pénètrent dans les demeures, menacent souvent et exigent des lits. Pendant un moment, ce ne sont qu’appels et vociférations qui mettent tout le monde en émoi.
Un premier groupe s’installe chez la gérante de la cabine téléphonique, un autre chez la famille Martin pour assurer, là aussi, la surveillance du téléphone. Vers 8 heures, un sous-officier broie le téléphone à coup de hachette chez M. Pierrot et, pour justifier les perquisitions qu’il ordonne, l’accuse de tenir caché chez lui un dépôt d’armes, ce qui est absolument faux, les jeunes filles de la maison doivent, sous menace, guider ses hommes qui les contraignent à ouvrir le coffre-fort et s’emparent de tout son contenu. C’est ainsi que se passe la matinée de cette tragique journée.
Vers midi, d’épaisses volutes de fumée s’élèvent au-dessus de Couvonges. A ce moment passe à toute vitesse, se dirigeant vers Robert-Espagne, une auto allemande dont l’un des occupants hurle « Américains ! ». Alors la plus grande partie des autos, camions et side-cars abandonnent précipitamment ses cantonnements et s’enfuit en emportant le produit des voles.
Le fait suivant est à noter : Cinq Allemands, probablement des sous-officiers, se sont installés chez deux demoiselles âgées et y ont dormi jusqu’à 11 heures. Au moment du départ du gros de la troupe vers Robert-Espagne, ils se sont concertés avec d’autres Allemands qui allaient et venaient dans Beurey et ont prononcé au cours de leur entretient les noms des villages de Mognéville, Couvonges, Beurey et Robert-Espagne. À quel propos ont-ils cité ces noms ? Ne désignaient-ils pas déjà les villages voués d’avance à l’anéantissement ou nommaient-ils tout simplement les lieux de stationnement des divers éléments de leur unité ? Un autre incident tend à rendre plus vraisemblable la première hypothèse et laisse supposer que les Allemands sont venus, dans ces villages avec l’intention bien arrêtée d’y commettre leurs forfaits en guise de représailles contre les attaques que le « maquis » leur fit subir les jours précédent tout au long de leur retraite.
Le départ des pillards ramène vite le calme au pays ; chacun attend impatiemment la prochaine arrivée des libérateurs. Mais vers 3 heures, ce sont des SS, ou supposés tels, qui envahissent le village. Un de leurs camions s’arrête au carrefour des routes conduisant à Trémont sur Saulx et Robert-Espagne. Une quinzaine d’Allemands en descend. Un groupe s’en détache et escalade le coteau qui domine Beurey vers  Robert-Espagne. Il y installe un canon ou un lance-fusées, on ne sait au juste, et envoie quelques projectiles incendiaires sur le village. L’un d’eux atteint l’église et met le feu au clocher et à la toiture. Au bruit des explosions, la plupart des habitants gagnent les caves ou les abris que, depuis plusieurs jours, ils ont aménagés dans les jardins à proximité de leurs demeures. C’est le bombardement qui commence avant l’attaque et la délivrance, pensent-ils. Hélas, ils se trompent !
Pendant ce temps, d’autres groupes de forcenés terrorisent le centre du village.
Plusieurs découvrent le détachement de la Luftwaffe cantonné au château Salleron. Que se passe-t-il entre eux ? On l’ignore au juste. Certains prétendent qu’il y eut bataille, que des coups de feu furent échangés de part et d’autre. En tout cas, les Allemands du château sont contraints de quitter les lieux. Ils montent dans leurs véhicules et disparaissent. On dit que plusieurs auraient été tués au cours de la bagarre. Quelques foyers d’incendie s’allument. Les brutes armées de grenades incendiaires ou de sortes de lance-flammes mettent le feu aux granges où sont entassées les récoltes. Le feu ronfle dans les charpentes de l’église. Les habitants terrorisés assistent impuissants aux progrès des flammes ; ils sont terrés dans leurs abris ou dans leurs caves et n’osent en sortir, car de fréquentes rafales de mitraillettes ou des coups de feu claquent de toutes part. Les trois enfants de M. Pierrot, l’épicier, ainsi que deux voisins M. et Mme Collaine, se sont réfugiés dans l’abri creusé dans leur jardin. L’un des Allemands qui fouillent la maison s’en approche, entend des voix, décroche de son ceinturon l’une de ses grenades à manche, l’amorce et la jette dans l’abri. Aussitôt une explosion, des cris horribles ! M. Collaine est tué sur le coup, sa femme grièvement blessée, les trois jeunes gens Pierrot affreusement mutilés.
Les malheureuses victimes sont péniblement sorties de l’abri par leurs parents atterrés et des voisins dévoués. Il faudrait les transporter d’urgence à l’hôpital de Bar le Duc. Mais c’est là, chose impossible : aucun véhicule n’existe et qui donc oserait se risquer au milieu des brutes sanguinaires et déchaînées qui tirent sur quiconque apparaît sur un seuil. Les blessés restent ainsi sans soins perdant leur sang en abondance. Malgré le danger Mlle Martin, prévenue par sa mère qui déjà est allée sur les lieux du supplice, accourt bravement auprès d’eux et parvient à leur faire une piqûre de morphine qui les soulage quelque peu. Enfin, un peu de calme semblant revenu, ils sont transportés sur des échelles, brancards de fortune, au château de M. Martin-Mayeur transformé en infirmerie. Là, les dévoués porteurs sont obligés de passer les blessés par la fenêtre du salon, car le vestibule est trop étroit. Au même instant, des coups de feu éclatent : les boches viennent d’abattre deux vieillards qui s’étaient hasardés sur le seuil de leur porte. La chasse à l’homme semble commencée ; ces gens-là ne veulent voir personne dehors : le garde champêtre, M. Chorlet, et un conseiller municipal impotent, M. Honoré, sont tués également. Toute une famille qui cherche à s’échapper du village essuie des rafales de mitraillette ; M. Pionnier a le nez traversé par une balle, sa femme est blessée.
Il est 18 heures, une patrouille arrête trois vieillards dans le village : MM. Abel Honoré, Thomassin et Herblot. Ils sont amenés devant un officier qui, en assez bon français, leur déclare avoir été contraint d’agir ainsi par mesures de représailles, car les terroristes ont fait beaucoup de vides dans leurs rangs : « vous trop de « ans » ; ne restez pas ici, partez à Bar le Duc ou dans les bois, rejoindre ceux qui y sont déjà, leur ordonne-t-il.
- Ça nous est impossible, nous pouvons à peine marcher !
- Eh bien, allez chez M. Martin et défense absolue de sortir. Je ne veux voir personne dans les rues du village, surtout la nuit ! »
Cette consigne c’est répandue, bientôt le village est désert, on ne rencontre dans les rue que des pillards qui vont de maison en maison, pour y voler ce qui leur convient, puis y mettre le feu ensuite. Seul, ou à peu près, le château Martin est occupé : c’est là que sont toujours les trois jeunes gens Pierrot. Leur pauvre et admirable mère, M. et Mlle Martin les soignent de leur mieux, car il n’y a pas de médecin. Ils lavent les plaies innombrables, changent les garrots de place. Une croix rouge de fortune a été fixée à la porte d’entrée.
Les Allemands respecteront-ils cette demeure ?
Les heures de la nuit s’égrènent lentement, au milieu d’une cruelle anxiété : presque tout Beurey est en flammes et les Allemands circulent toujours dans les rues. Dans la nuit M Pierrot et un compagnon s’en vont à la ferme de la Taille-Jacquemin pour y quérir un véhicule. Ils reviennent vers 7 heures du matin avec un tombereau. Les victimes y sont installées avec précautions et ce n’est qu’après un horrible voyage de 4 heures qu’elles pourront être déposées à l’hôpital de Bar le Duc pour y recevoir des soins sérieux mais trop tardifs, hélas ! L’une des jeunes filles ne survivra pas ; l’autre et son grand frère en sortiront horriblement mutilés. Pendant ce temps, on amène encore auprès de Mlle Martin, une quatrième blessée, Mme Collaine qui, faute de brancardier, est restée l’après-midi et toute la nuit dans l’abri dans son jardin, auprès du corps sans vie de son mari tué par la terrible grenade.
La nuit du 30 au 31 août est tout aussi tragique que la précédente. Les Allemands rôdent dans le village, autour des maisons intactes. Les malheureuses gens qui n’on pas fui se serrent tremblantes dans les caves. Une violente explosion retentit puis une autre. Est-ce la bataille ? Un calme impressionnant succède, qui durera jusqu’au jour. Les Allemands ont, pour faire un barrage, fait sauter deux gros arbres à la dynamite. Ils sont encore là dans la journée du 31 ; enfin vers 17 heures, ils partent en camions… on n’en reverra plus car, peu après, les premières voitures américaines font leur entrée dans Beurey fumant, délivrant une population terrorisée depuis deux jours. Le bilan de la catastrophe ? Six personnes massacrées, auxquelles s’ajoute une septième victime, Raymond Habrant, âgé de 19 ans qui, quelques jours après, sauta, lui et son cheval sur mine enterrée par les Allemands, à l’abreuvoir, sur le bord de la Saulx. Soixante-quinze maisons sur cent complètements détruits par l’incendie, et cent soixante et onze sinistrés sur trois cents habitants.
 
Source : Brochure «Libération Sanglante de quatre village Meusien». En vente à la mairie de Robert-Espagne.







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