Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents. Joseph Joubert

vendredi 1 avril 2011

MOGNÉVILLE


Journée du 29 août 1944
Les derniers communiqués de la radio laissent à la population l’espoir d’une prochaine libération du village, libération qu’on escompte rapide en raison de la position avancée des colonnes alliées et du départ précipité, au cours de la nuit précédente, du dernier détachement allemand cantonné à Mognéville depuis le 27.
8 heures. Deux voitures automobiles décapotées, transportant des officiers allemands, traversent le village à vive allure, se dirigeant vers Robert-Espagne.
Quelques minutes plus tard, plusieurs rafales de mitraillette crépitent dans le lointain, et la direction de la mitraille semble concorder avec le passage des voitures qui doivent être maintenant entre Couvonges et Beurey.
10 heures 30. Les Allemands, arrivés au village aux environs de 9 heures, déferlent subitement dans les rues, tirant dans toutes les directions, s’introduisent dans les maisons, à la recherche des hommes qu’ils arrêtent. Ils s’assurent qu’ils ne sont pas armés et les rassemblent sur le trottoir qui borde la grand’ rue. Arrive alors une voiture qui s’arrête devant le groupe. Un jeune sous-lieutenant en descend et donne des ordres à la troupe. Aussitôt le ramassage de tous les hommes commence…
Commence aussi la lutte d’un homme contre la meute des assassins. Le combat de Maître Rouy notaire à Revigny, parlant l’allemand, réfugié avec sa famille dans le village éloigné de son étude, car Revigny, centre ferroviaire, était sans cesse bombardé. Apprenant l’arrestation de la plupart de ses camarades, Maître Rouy n’en décide pas moins de se joindre à eux. Dans une tenue, intentionnellement des plus correctes, il se présente à l’officier qu’il salue crânement et se présente :
- « Vous arrêtez, paraît-il, tous les hommes,  dit-il. Aucun de vos soldats n’est entré chez moi, mais je ne vois pas la raison pour laquelle je me soustrairais à cette mesure, ayant pleine confiance en la correction de l’armée allemande.»
Le sous-lieutenant, très certainement flatté, le dévisage attentivement et, après lui avoir fait décliner ses qualités, l’invite non sans hésitation, à se joindre au groupe.
Les mitrailleuses sont braquées sur les hommes et le village est cerné. Sous bonne escorte, la colonne de captifs (80 hommes) est conduite à la mairie et enfermée dans la salle de théâtre.
Il est midi. Seuls, deux soldats assurent leur garde, grenades en mains. Les fenêtres de la salle sont restées ouvertes, ce qui permet aux femmes d’apporter vivres et vêtements. Maître Rouy engage aussitôt la conversation avec les sentinelles qu’il interroge sur leur provenance, sur les officiers qui les commandent, leur situation de famille leur caractère. Il réunit ainsi des renseignements qui, il l’espère lui seront de la plus précieuse utilité plus tard. Il apprend ainsi que le capitaine est dans un état voisin de la furie, ayant essuyé des coups de feu du maquis.
3 heures 30. Les femmes apeurées apprennent aux otages que Couvonges est en flammes. La peur s’empare de tous. C’est l’attente anxieuse du sort réservé au pays, quand, tout à coup, une fumée noir s’élève au-dessus des premières maisons du village. Tout le monde s’élance vers les fenêtres, vers les portes. C’est alors le départ des femmes qui se sauvent vers les bois, emportant les objets les plus précieux ou indispensables. Maître Rouy calme l’anxiété de ses camarades, se précipite vers les sentinelles, insistant puis suppliant qu’elles le mettent en rapport avec le capitaine. Ce dernier et absent ; le lieutenant aussi : «Conduisez-moi, leur dit-il alors, vers celui qui commande dans ce village.» Les sentinelles se concertent et, comme dés le début il a su gagner leur confiance, elles se décident à envoyer l’un des leurs à la recherche de l’incendiaire. Quelques minutes s’écoulent et voilà qu’arrive sur un vélomoteur le grand ordonnateur du sinistre. Intentionnellement, il dépasse de quelques mètres le notaire, qui se tient à deux pas devant ses compagnons, afin de l’obliger à aller vers lui. Dissimulant sa rage, Maître Rouy n’hésite pourtant pas. Tour à tour, il proteste, et supplie tandis que la brute l’écoute sans broncher pour finalement s’adoucir et répondre :
- «J’ai eu pour mission d’incendier tout le village ; mais jusque là une seule grange brûle, il m’était d’ailleurs impossible d’en faire moins, car le capitaine, qui doit être à Couvonges, veut pouvoir, par le feu et la fumée, se rendre compte de l’exécution de son ordre…
Je vous promets de m’en tenir à cette grange, au surplus isolée.»
Puis se ravisant : - « Mais, si le capitaine devait revenir, je ne pourrais plus rien garantir.»
Se confondant en remerciements, Maître Rouy obtient alors, non sans peine, la promesse formelle que dans ce dernier cas, il serait appelé. Les minutes s’écoulent, interminables, dans une atmosphère fiévreuse… C’est l’affolement général quand une dizaine d’immeubles s’enflamment simultanément. Maître Rouy n’attend pas. Il arrive aux gardiens, les conjurant de le conduire vers le capitaine. Tandis qu’il parlemente, un cycliste arrive, réclament
justement l’interprète. Amené sur place, en attendant d’être reçu par l’officier, il s’entretient avec les soldats. Il est enfin conduit devant le sous-lieutenant en l’absence du capitaine qui vient de repartir. Le jeune officier l’interrompt durement dés les premières paroles :
- «Que voulez-vous ! Le capitaine est déchainé à la suite de l’attaque dont il a été victime…Il m’a en conséquence, donné l’ordre d’incendier Beurey, Couvonges et Mognéville et d’y fusiller tous les hommes. C’est fait pour Beurey… C’est fait pour Couvonges… »
- L’officier demande alors :
- «Où habitez-vous ? 
- Au coin, là bas, répond Maître Rouy, désignant de la main le fond de la rue.
- Bien ! Puisque vous êtes Lorrain, vous ne serez pas fusillé, et votre maison sera épargnée.
- Non, Monsieur le lieutenant, cela ne m’est pas possible ; mon sort ne peut être différant de celui de mes camarades… Je vous remercie néanmoins… mais, vous-même, à ma place, j’en suis persuadé, n’agiriez pas autrement… Mes compagnons ne sont d’ailleurs pas plus coupables que moi. Je m’en porte garant avec le Maire, si vous le voulez bien !»
L’officier réfléchit…Puis se raidi :
- «Il ne me reste donc qu’à prendre la responsabilité de ne pas exécuter l’ordre qui m’a été donné ! Soit, malgré les risques que cela comporte pour moi, j’y consens, mais le Maire restera comme otage avec dix homme de la commune qu’il désignera.»
L’entretien est soudainement interrompu par l’arriver d’une voiture qui accapare le lieutenant. Maître Rouy regagne rapidement la mairie, escorté de deux sous-officiers. Il relate brièvement le résultat de son entrevue. M. Poinot le Maire, très calme, exhorte au courage ses administrés et fait appel aux volontaires, car il refuse catégoriquement à désigner les otages. Quatre anciens combattants de la guerre de 1914-1918 se présentent…
Et c’est ensuite la scène combien émouvante des adieux des libérés à ceux qui doivent demeurer. Des grosses larmes coulent le long des joues de la plupart des témoins… Et M. Poinot de répondre à l’un d’entre eux fort ému :
- «Moi, je ne pleure pas ! Je veux bien qu’on me fusille tout de suite pour sauver ma commune.»
Nous quittons précipitamment la salle. Chacun rentre chez soi dans l’intention de sauver quelques précieux objets.
Maître Rouy se dispose à pénétrer chez lui quand l’homme au vélomoteur l’interpelle :
- «Vous avez dix minutes pour déménager ; passé ce délai, nous tirons.»
Maître Rouy court successivement dans toutes les directions transmettre ce dernier ordre.
Il est 18 heures ! Tous rejoignent leurs familles dans les bois.
Dans la soirée, alors que chacun prépare hâtivement un abri pour la nuit, parvient la nouvelle de la mort de M. Mallet et M. Lacotte sauvagement massacrés sous les yeux atterrés de leurs femmes et de leurs enfants. Mme Mallet n’ayant pu se contenir devant l’horreur de cette scène a été atteinte de deux balles au foie. Elle devait mourir trois semaines plus tard à l’hôpital de Saint Dizier.
Les otages sont prisonniers jusqu’au départ des Allemands qui s’effectue dans la nuit.  C’est avec joie que leurs camarades les retrouvent au petit jour. La plus grande partie de la population passe deux jours et deux nuits dans la campagne et ne rentre au village que le jeudi soir 31 août à l’arrivée des premières voitures américaines.
Chacun peut alors se rendre compte du martyre enduré par les communes voisines. L’Allemands n’a pas menti : les ordres du capitaine ont bien été exécutés à Couvonges, Beurey et Robert-Espagne.
Source brochure «Libération Sanglante de quatre village Meusien». En vente à la mairie de Robert-Espagne
 



Maisons brûlées à Mognéville
(La maison blanche était celle de Mr et Mme Mallet)

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